LA SEXUATION SANS LE GENRE
La jouissance avec les semblants
Rose-Paule Vinciguerra est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse. Elle est également psychologue et agrégée de philosophie. Auteure de nombreux travaux publiés dans les revues de l’ECF et de l’AMP, elle est co-auteure de De l’amour (Flammarion, 1999), Lacan, l’écrit, l’image (Flammarion, 2000), Qui sont vos psychanalystes ? (Le Seuil, 2002 avec Jacques-Alain Miller et 84 amis), Pertinences de la psychanalyse appliquée (Le Seuil, 2003) et Femmes lacaniennes (Éditions Michelle, 2014).
Ce livre réunit des articles et des travaux adressés au départ à des psychanalystes ; il reprend l’élaboration que fait Lacan du rapport entre les sexes et l’articulation de la jouissance et des semblants autour de cette question. L’importance accordée aujourd’hui aux gender studies et les débats qui traversent les sociétés contemporaines ont amené l’auteure à confronter la recherche de Lacan aux critiques que Judith Butler lui adresse nommément – critiques que l’apport théorique de celui-ci déplace de façon décisive. Doit-on dire que la psychanalyse soutient la domination ancestrale « hétéronormée » qui instaurerait un ordre « prétendument symbolique » en réitérant des modèles appartenant à des stéréotypes ? Peut-on accepter de lire que Lacan privilégierait indûment le phallus dont le lien avec le pénis – qualifié par Judith Butler de « yahvé hébraïque » –, serait par lui élidé ?
La non-différence des sexes dans l’inconscient, leur « bipartition à chaque instant fuyante » font objection à cette charge contre Lacan. Comment, au-delà des identités socialement revendiquées, penser ce qu’il nomme des « options, dites d’identifications sexuées » ? Avec les formules de la sexuation que Lacan élabore, il s’agit de jouissances indépendantes de l’anatomie mais rigoureusement distinctes dans leur articulation aux semblants. À ce point de son enseignement, Lacan a exploré la question de l’incommensurable du rapport entre les sexes. Que Lacan ait desserré la psychanalyse de l’idéologie œdipienne et de son « familialisme délirant », pluralisé les Noms-du-Père, exploré une jouissance dite « pas toute » phallique, n’empêche pas que les jouissances – masculine, féminine, hétéro, homo, bi, trans, queer, ou intersexuées – ne soient jamais que des jouissances « en obstacle » entre le ou les partenaires ; la sexualité ne fonde aucun rapport qui s’inscrive. Le réel est intouché.
In fine, à l’encontre de toutes les reconfigurations socialement construites qu’exalte Judith Butler, le dernier enseignement de Lacan insiste sur le corps où s’inscrit la marque de la vie ouverte à la jouissance et rétive au sens. Le corps ne peut être ouvert à toute nomination performative possible, comme le soutient Judith Butler. Le singulier de ce « foyer brûlant » de la jouissance est sans rapport direct avec les signes du sexué ni avec les multiples nominations de genre. Personne ne peut subjectiver de façon adéquate sa position sexuée.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
La jouissance et les semblants. Rapports entre les sexes.
I. L’IMAGINAIRE, LE SYMBOLIQUE ET LE SEMBLANT
Prologue. Les sexes et le semblant. Semblant et image phallique. Les « deux phallus ». Phallus et semblant. Les identifications sexuées.
II. LE SEMBLANT PHALLUS ET SES LIMITES
Prologue. Fétichisme et « érotomanie ». L’objet a.
III. SEMBLANTS ENTRE SYMBOLIQUE ET RÉEL
Prologue. Semblant et discours. Semblant, jouissance et vérité. Passion transexualiste
IV. LE TOURNANT D’ENCORE. LES FORMULES DE LA SEXUATION
Prologue. La fonction phallique et les formules de la sexuation dans les Séminaires xviii, xix et xx. Rapport entre les sexes.
V. PARCOURS DE L’OBJET a
Prologue. Imaginaire. Symbolique. Réel. Semblant – le triangle d’Encore.
VI. « IL N’Y A PAS DE RAPPORT SEXUEL »
Prologue. Phallus et non-rapport sexuel. Les femmes et le réel du non-rapport sexuel. Il n’y a pas de rapport sexuel. Yadl’Un. Rapport sexuel et sinthome.
VII. LE CORPS PARLANT
Prologue.
. LACAN, LA LINGUISTIQUE ET LA LINGUISTERIE
Saussure, Jakobson et Lacan. L’inconscient structuré comme un langage. Lalangue. Effet de trou.
. PARLÊTRE ET INCONSCIENT
De l’inconscient freudien à l’inconscient lacanien. L’invention du parlêtre.
. LE CORPS PARLANT
Quel rapport le sujet entretient-il à son corps ? Le corps parlant. Le corps dans la civilisation. Le corps de l’autre.
. LE PHALLUS, RÉSIDU QUI VÉRIFIE
Mise à plat du phallus. Le phallus fait parler. Fonction phallique et jouissance sexuelle. Le phallus, résidu qui ne parle pas. La passe.
. TROUS ET RESTES
Savoir troué, corps troué. Les deux ombilics. Pulsion, enfer, image. L’analyse et la passe.
. LE TRAUMA : DE L’ÉNIGME AU RÉSIDU
Mythes du traumatisme. Béance du désir de l’Autre, opacité de sa propre vie. Traumatisme du malentendu. Et l’analyste ?
VIII. ENTRE HOMMES ET FEMMES
Prologue.
. « TU ES MA FEMME… TU ES MON ÉPOUX »
. « CE QU’IL YA SOUS UN MARIAGE »
. NOUS NE VIEILLIRONS PAS ENSEMBLE
Qu’en dit la psychanalyse ? Dans l’Imaginaire. Dans le Symbolique. Quand le lien bute sur le réel du sexe. Et l’enfant ?
. L’ENVERS DE LA FICTION MÂLE
. MODULATIONS FÉMININES
Corps de femmes, lieux de jouissance. Corps symptôme ou « symptôme de symptôme » ? L’Autre jouissance et « le mystère du corps parlant ».
. LES FEMMES, LA LIBERTÉ ET LA SOLITUDE
Liberté à l’égard des semblants. Le partenaire-solitude.
. PARODIES DE JOUISSANCE
Corps ou « hors-corps » ? Une autre parodie ? Croire La femme ou croire à une femme.
. ABUS SEXUELS EN FAMILLE
Viol et passage à l’acte. Inceste générationnel. Quelle jouissance ? Métaphore ou métonymie de la jouissance.
IX. LES ARTS DE LA JOUISSANCE
Prologue.
. PUISSANCE DES SEMBLANTS : PSEUDOLUS LE TRUQUEUR
. DES SEMBLANTS À LA JOUISSANCE :
HEDDA GABLER, « UNE FEMME INABORDABLE »
La pièce. L’Unique mais pas sans elle. Le réel au-delà des semblants. Mais que voulait-elle savoir ? Comment vivre sa vie ?
. AUX LIMITES DE LA JOUISSANCE :
FOLIES DE FEMMES, HAINES FÉMININES AU THÉÂTRE
Vengeance, haine. La revanche : « vaincre ou périr ». Hainamoration. Haine de « vraie femme ». Une haine « solide ».
CONCLUSION