Présentation
De nombreux textes de ce numéro abordent la question du réel. Mais qu’est-ce que le réel ? Peut-on seulement se poser cette question ? « Après tout, disait Lacan dans son Séminaire xxiii, il n’est pas sûr que ce que je dise du réel soit plus que de parler à tort et à travers. [1] » C’est qu’à parler du réel, on tente de lui donner un sens et, du même coup, on le rate [2].
Le réel, celui qui compte pour Lacan dans son tout dernier enseignement, son sinthome à lui comme il dit [3], est « une idée limite, l’idée de ce qui n’a pas de sens [4] ». Cette idée limite – qui renvoie non pas au réel de la science, mais au réel de la substance jouissante – lui paraît nécessaire pour contrebalancer une pente délirante de la psychanalyse, celle qui préfère l’inconscient en tout. Il constate qu’il touche là un type de réel, un hors-sens, qui fait limite au sens, arrête la chaîne signifiante. Une idée limite qui permet de se faire aspirer plutôt par le réel que par l’inconscient ! Nous renvoyons au commentaire d’Éric Laurent à ce propos dans ce même numéro [5].
Le dernier Congrès de la nls, Effets corporels de la langue, tentait lui aussi d’apporter une limite au sens. En tout cas, il mettait à l’étude, non pas les effets de sens du signifiant, mais la marque de jouissance laissée par la langue sur le corps. Vous en découvrirez avec le plus grand intérêt quelques textes dans ce numéro.
Vous lirez également deux études minutieuses et précieuses d’Alfredo Zenoni concernant différents abords du réel par Lacan au cours de son enseignement.
Nous rassemblons, par ailleurs, dans une même partie, trois Études sur l’hystérie. Là, vous serez peut-être étonnés par le retour du même. Le même, ce sont notamment les mêmes références : entre la première étude, celle de Patricia Bosquin-Caroz, et la deuxième, celle de Yves Vanderveken, reviennent les mêmes passages des premiers Séminaires de Lacan ; entre la deuxième étude, celle de Y. Vanderveken, et la troisième, celle d’É. Laurent, reviennent les mêmes passages des tout derniers Séminaires de Lacan. Mais à faire retour, ce même, tout comme le Boléro de Ravel, gagne en intensité. Il renvoie in fine au même trait de jouissance.
Vouloir un enfant – vicissitudes. Nous reprenons ici trois textes préparatoires au dernier pipol qui interrogeait cet étrange vouloir un enfant. Étrange vouloir, puisque loin de la plénitude imaginée que serait l’arrivée d’un enfant, les vicissitudes rencontrées – fausses couches, interruptions de grossesse, difficulté à la procréation – lèvent un voile sur le réel hors sens de la conception, sur l’étrangeté pour chaque femme de porter en son sein un corps en développement [6]. C’est ce que disait déjà Lacan en 1976 dans son Séminaire xxiv : « Dans l’utérus de la femme, l’enfant est parasite, tout l’indique, jusqu’au fait que ça peut aller très mal entre ce parasite et ce ventre. [7] »
Enfin, nous terminons ce numéro par une Conférence d’É. Laurent qui a fait l’argument de l’avant-dernier Congrès de la nls : L’interprétation – de la vérité à l’événement. S’y trouvent dépliés différents abords de l’interprétation par Lacan au cours de son enseignement. Ces abords de l’interprétation suivent, on ne peut que le constater, ses abords du réel. Ils vont de l’interprétation-vérité, qui fait résonner la place vide de la vérité, à l’interprétation-événement qui fait résonner le sinthome comme événement de la langue sur le corps.
Monique Kusnierek
[1] Cf. Leblanc V., dans ce même numéro, p. 94 et sv.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 16 novembre 1976, texte établi par J.-A. Miller, Ornicar ?, no 12/13, décembre 1977, p. 6.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 133.
[2] Cf. Zenoni A., dans ce même numéro, p. 50 et sv.
[3] Lacan J., Le sinthome, op. cit.
[4] Lacan J., « Propos sur l’hystérie », Bruxelles le 26 janvier 1977, Quarto, no 90, juin 2007, p. 8.
[5] Cf. Laurent É., dans ce même numéro, p. 84 et sv.
[6] Cf. Leblanc V., dans ce même numéro, p. 94 et sv.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 16 novembre 1976, texte établi par J.-A. Miller, Ornicar ?, no 12/13, décembre 1977, p. 6.
Points forts
- Effets corporels de la langue – échos du dernier Congrès de la nls
- Différents abords du réel dans l’enseignement de Lacan – Alfredo Zenoni
- Études sur l’hystérie – Patricia Bosquin-Caroz, Yves Vanderveken, Éric Laurent
- Vouloir un enfant, vicissitudes – Virginie Leblanc, Céline Aulit, Carolina Koretzky
- L’interprétation – Éric Laurent.
Sommaire
Effets corporels de la langue
Textes d’orientation
Alexandre Stevens : Le corps marqué par la langue
Lieve Billiet : Le corps vivant
Els Van Compernolle : De l’effet traumatique de la langue à l’écriture des nœuds
Séquences des Analystes de l’École
Avec la participation de Laurent Dupont et Domenico Cosenza
Anne Béraud : Désincarcérée
Dossia Avdelidi : Dé-faire la fiction
Florencia F.C. Shanahan : Traces
Guy Poblome : Échos
Victoria Horne Reinoso : L’impact d’un silence
Habiller le corps parlant
Daniel Roy : Vêtir le corps que l’homme a
Abe Geldhof : Lol V. Stein – une robe qui fait le corps
Glenn Strubbe : Qui sème le vent – une poésie de la souillure
Abords du réel dans l’enseignement de Lacan
Alfredo Zenoni : Abords du réel I
Alfredo Zenoni : Abords du réel II
Études sur l’hystérie
Patricia Bosquin-Caroz : Dora, le père châtré et l’Autre femme
Yves Vanderveken : La névrose hystérique, sans le père – rigidité du phallus réel
Éric Laurent : Reprise à l’envers des Études sur l’hystérie
Vouloir un enfant – vicissitudes
Virginie Leblanc : Traversée par la vie
Céline Aulit : De l’événement d’une ivg à l’avènement du désir d’être mère
Carolina Koretzky : Attente d’enfant
L’interprétation
Éric Laurent : L’interprétation – de la vérité à l’événement