Fabian FajnwaksArchives Lacan
La déclaration de Jacques Lacan en juillet 1973,
Laura Sokolowsky
« Le jouir de l’être parlant s’articule »,
Jacques LacanPersistance du mariage
La vérité de l’acte sexuel,
Gil Caroz
Avec quoi se marie-t-on ?
Esthela Solano-Suàrez
Clinique du malentendu et du quiproquo,
Pierre NaveauLa psychanalyse au XXIe siècle
Présentation,
Pascale Fari
Pour de vrai, et cetera,
Jacques-Alain MillerNouveaux arrangements
Les noms du mariage,
Marga Auré
Vive les mariés !
Anaëlle Lebovits-QuenehenRencontre avec Marc Minkowski
La voix et le cœur,
propos recueillis par Marie-Hélène Brousse, Ariane Chottin & Omaïra MeseguerHistoires de psychanalyse
Freud et la thèse du « second mariage ». Une perspective transhistorique,
Agnès AflaloCe que la clinique nous enseigne
Maldonne,
Marie-Hélène Roch
Une femme, un rempart,
Alexandra Lavigne Zins
Mariée avec son double,
Hélène Bonnaud
Un dé-mariage ?
Vanessa Sudreau
Le mariage, un garde-fou,
Hélène Deltombe
« Oui, mais pas maintenant »,
Beatriz Gonzalez-Renou
Sauvée,
Ana Inés Vasquez
« Se passer la corde au cou »,
Fatiha BelghomariÀ la lettre
« Le mariage de Nevers »,
Omaïra MeseguerRencontre avec Maurice Godelier
Don, échange et parenté,
propos recueillis par Fabian Fajnwaks, Clément Fromentin & Pascal PernotLa passe. L’aventure du siècle.
Premiers témoignages
L’amur de l’amour,
Anne Béraud
« Chut »,
Myriam Chérel
Partenaire-sinthome
Elle, m’affame,
Dominique Holvoet
Une partenaire à éclipse,
Bénédicte Jullien
Dés-hystoire de lame,
Daniel PasqualinUn miroir de notre civilisation : séries et cinéma
Qu’attendent les héroïnes de la bague au doigt ?
Sandrine Corouge
Une œuvre et son invité à écrire…
La robe de mariée de Jean Paul Gaultier
Jean Paul Gaultier : de fil en aiguille… Une relique de style, Patrick Hollender
Détours
Les secrets de Bronzino, Gustavo Freda
Brèves de divan
Bruno de Halleux ; Dominique Carpentier ; Michel Grollier ; Gilles Mouillac
Les êtres parlants sont toujours mariés : mariés à leur partenaire mais aussi à leur symptôme, à l’objet de leur fantasme et à la répétition qu’il commande, à leurs identifications et aux personnages auxquels elles se rattachent. Faire une analyse permet de s’en apercevoir et d’y consentir ou pas, une fois que l’on accepte de
vouloir ce qu’on désire. Le partenaire peut se retrouver réinstitué à sa place ou délogé pour se voir remplacé par un autre plus en accord avec les nouvelles coordonnées de jouissance du sujet. D’où le titre de ce numéro de La Cause du désir : mariages au pluriel pour signifier leur variété, leur varité.
Mais, au fond, qu’est-ce qui pousse encore à vouloir se marier au XXIe siècle ? Les historiens nous expliquent que le mariage, institution religieuse et civile vouée à la
transmission du patrimoine, a traversé les époques pour arriver à la nôtre presque inchangé et se trouver en quelque sorte délocalisé. Si le XXe siècle a infléchi l’histoire pour que l’amour soit convié à cette union, là où auparavant la plupart des mariages étaient arrangés, pour beaucoup de sociologues ce changement a été la cause principale de la chute de l’intérêt pour cette institution dans les dernières décennies du siècle passé. On n’avait plus besoin de se marier pour s’aimer, et la dimension d’engagement semblait davantage liée à la possibilité de faire un enfant qu’à l’alliance de deux sujets.
Ce début du XXIe siècle semble marqué d’un regain d’intérêt pour le mariage, autant valeur refuge contre celles ravalées par la déliquescence de l’ordre symbolique, que célébration du lien performatif sur fond de dissolution des liens entre les êtres parlants. Un espace où chaque sujet pourrait donner cours à l’expression du plus intime de sa vie subjective, avec ou sans partenaire, dans une construction qui pourrait s’équivaloir à une oeuvre à deux, ou en solo ; Jacques Lacan se demandait en 1960 si c’est grâce à l’effet de « l’instance sociale de la femme […] que se maintient le statut du mariage dans le déclin du paternalisme ? »[1]. Nous pourrions remarquer aujourd’hui que c’est certainement par un désir, aussi extravagant soit-il, transcendant toute norme et toute institution établie, que le mariage persiste et se décline dans des variantes inouïes, à l’époque où ce n’est pas le désir de s’accorder à une Loi qui mène deux sujets, hétéro ou homosexuels, ou encore un seul, à vouloir se marier – même s’il arrive que ce soit encore dans certains cas une tentative de restaurer la Loi à l’intérieur de cette dérégulation de la norme et du déclin du Père.
Des exemples de « sologamie » apparaissent partout dans le monde depuis le mariage solitaire de Linda Baker, en Californie en 1993. Restée célibataire à quarante ans, elle a convié sa famille et soixante-quinze amis à la cérémonie : dans un bar de Santa Monica, revêtue d’une robe de mariée, entourée de sept demoiselles d’honneur, elle a juré de se devoir respect, fidélité, secours et assistance[2]. Une agence de voyages japonaise propose depuis lors un « mariage solo » de deux jours, avec designer floral, maquillage, coiffeur, photographe et nuit de noces dans un hôtel de luxe ; version hypermoderne de vivre sa propre altérité ?
« Le jouir de l’être parlant s’articule », énonce Lacan à France Culture dans un entretien de 1973, « et c’est même pour ça qu’il va au stéréotype, mais un stéréotype qui est bien le stéréotype de chacun ». Est-on marié à ce stéréotype ? Et jusqu’où peut-on s’en défaire ?
Un extrait de « Choses de finesse en psychanalyse », le cours de Jacques-Alain Miller, nous rappelle magistralement avec Feydeau et La dame de chez Maxim, ce qu’on appelait – à l’âge des Lumières – la mômerie. Qu’est-ce la mômerie ? S’y opposent le pour de vrai au pour du semblant qui se jouent dans le mariage de Marcel et d’Amélie où le pour du semblant trouve sa limite devant le maire venu officier un vrai mariage !
C’est souvent le projet d’un enfant qui réunit aujourd’hui deux partenaires, comme l’explique l’anthropologue Maurice Godelier : les mariages peuvent être non seulement des arrangements à chaque fois singuliers, mais aussi des nouages incluant l’enfant comme objet au centre du noeud.
Parce qu’au fond, on ne sait pas qui on épouse. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, le chef d’orchestre Marc Minkowski nous le rappelle à propos des Noces de Figaro : tous les jeux de déguisements avec lesquels Mozart s’amuse dans cet opéra « parfait » soulignent avec bonheur la duperie propre à l’acte marital. Et c’est en général l’homme qui prend sa femme pour une autre : Chamfort l’affirmait en disant « qu’une des meilleures raisons qu’on puisse avoir de ne se marier jamais, c’est qu’on n’est pas tout à fait la dupe d’une femme tant qu’elle n’est pas la vôtre ». La vôtre… : votre femme, ou votre dupe ?
Lacan tira toutes les conséquences de ce dit en affirmant « qu’une femme ne se trompe jamais lorsqu’elle se marie » [3]. « Au moins la seconde fois », ajoutait Sigmund Freud commenté dans ce numéro par Agnès Aflalo. En tout cas, selon lui, elle y est plus heureuse…
Les cas cliniques de la rubrique « Ce que nous enseigne la clinique » attestent que les us de cette institution peuvent être aussi nombreux que les êtres parlants, que ce qui s’y joue est à chaque fois le plus intime de chacun. De même pour les textes réunis sous le titre « Persistance du mariage et nouveaux arrangements’, où l’on lira comment le constat qu’il n’existe pas de rapport sexuel qui puisse s’écrire entre deux êtres, n’empêche pas de vouloir inscrire cette alliance dans les termes fixés par la Loi.
Les Analystes de l’École développent pour leur part les effets qu’ont eu sur leur alliance l’expérience fondamentale de la passe. Deux nouveaux témoignages d’AE récemment nommées nous enseignent sur comment l’analyse a modifié radicalement leur manière d’être dans le monde.
Jean Paul Gaultier, intervenant aux dernières Journées de l’École de la Cause freudienne, a eu la gentillesse de nous offrir pour ce numéro la photographie d’une de ses magnifiques robes de mariée. La robe de mariée : toute une icône pour habiller le Un du couple et nous rappeler, comme le fait Anaëlle Lebovits-Quenehen, que même mariés, il reste des Uns sans rapport, en-deçà de l’amour souvent teinté de reproches et parfois de la haine qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
Pour celle qui célébrait les « noces taciturnes de la vie vide avec l’objet indescriptible », un mariage avec la puissance d’une jouissance inouïe, se cache derrière le personnage d’Hiroshima mon amour comme le déploie Omaïra Meseguer.
En écho avec la dimension inaugurale qu’un mariage suppose, une nouvelle équipe reprend la confection de La Cause du désir : nous attendons ton avis, chère lectrice, cher lecteur, sur cette nouvelle aventure !
rauirozuro z
1. Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 736.
2. Postel-Vinay O., « Un jour mon moi charmant viendra », Libération, 22 novembre 2016. Disponible sur internet.
3. Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 13 novembre 1973, inédit.