Cet ouvrage aborde l’œuvre de Pierre Klossowski (1905-2001) dans tout son long. Reconnu et admiré par ses pairs (Bataille, Blanchot, Parrain, Gide, Foucault, Deleuze, Lyotard, Lacan…), c’est un grand écrivain, un grand théoricien, un grand peintre. C’est aussi un grand traducteur du latin et de l’allemand. Cette œuvre tourne autour du regard porté à son incandescence métamorphosant ceux qui le rencontrent. Le destin d’Actéon, auquel l’auteur et des héros masculins sont identifiés, est toujours en point de mire. Comment voir – l’œil est l’organe noble selon les docteurs de l’Eglise – l’invisible divinité ? Voilà la question qui harcèle Klossowski et qu’il déplacera dans des rituels pornographiques. Devant ces scènes inlassablement répétées, un sujet se fait pur objet regard. Une expression vient sous la plume de Klossowski : La pantomime des esprits. Elle désigne ce moment où, dans la conversation entre un homme et une femme (l’époux-l’épouse), les mots dits cessent d’être énoncés. La scène, ouvrant à la rencontre sexuelle des corps, se fige en entrant dans le silence. Le corps, pris par le désir – Klossowski dit les démons -, devient le lieu d’une singulière rencontre. L’âme de l’épouse fait l’expérience que Dieu est le mal déclinant ce nouage du corps désirant et de la théologie dogmatique. La véritable conversation étant silencieuse. Un spectacle se déplie sous le regard de l’époux, nouvel Actéon : La vérité de la théologie est la pornographie. La pantomime des esprits est cette vérité devenue conjointement spectacle pornographique et preuve logique de l’exigence de ce nouvel être-suprême-en-méchanceté (selon l’expression de Sade) qu’est le Dieu klossowskien. Dans ses travaux théoriques, Klossowski n’a cessé de commenter l’enjeu de cette monstration-démonstration. Pour ce faire, il a construit des concepts aux acceptions propres : simulacre, perversion, tableau vivant, phantasme obsessionnel, économie (=libidinale) des impulsions, stéréotype, vision gullivérienne, monomanie, solécisme, valeur, mal, etc. Ces concepts sont de véritables outils pour penser le spéculaire pornographique comme vérité théologique. Faut-il considérer Klossowski comme un excentrique de la pensée, un marginal de la culture, un hapax dans le monde des arts ? Nullement. Comme un théoricien singulier chez lequel concepts, mots et images prennent une valeur inédite ? Comme un praticien hors pair de la lettre, écrite et montrée, où s’isole l’objet regard du voyeur ? Assurément ! Un entretien de Pierre Klossowski avec Judith Miller (La mutation) complète cet essai.
Entretien avec Hervé Castanet, in La Cause freudienne, n°71
https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=LCDD_071_0081
Hervé Castanet, professeur des universités, est membre de l’Ecole de la Cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse. Il est psychanalyste à Marseille. Il a déjà publié une douzaine de livres notamment sur la clinique du regard, la perversion, le nouage de la littérature et de la psychanalyse.