Un psychanalyste choisit d’exposer précisément quatre cas relevant de la clinique appliquée aux psychoses, plus un, célèbre, celui d’Antonin Artaud. Pourquoi un tel livre aujourd’hui ? Assurément pour casser quelques stéréotypes sur ce que fait, ou ne fait pas, un psychanalyste avec des analysants psychotiques. Trop de balivernes se colportent encore et parfois au nom de Lacan. La conception déficitaire de la psychose comparée à la névrose a la vie dure.
Mais ce livre ne se limite pas à cet enjeu. Il se propose de montrer en quoi s’orienter du dernier enseignement de Lacan a des effets radicaux pour la clinique psychanalytique en général, et avec des analysants psychotiques en particulier. » L’inconscient est le témoignage d’un savoir en tant que pour une grande part il échappe à l’être parlant. (Chacun) présente toutes sortes d’affects qui restent énigmatiques. Lalangue nous affecte d’abord par tout ce qu’elle comporte comme effets qui sont affects. » (Lacan)
La seule définition freudienne de l’inconscient comme discours de l’Autre scène n’est plus utilisable. Lacan propose d’y substituer la clinique du parlêtre : le signifiant percute le corps, faisant sourdre la jouissance. La psychanalyse change, et la conduite des cures avec elle : » Quand on analyse l’inconscient, le sens de l’interprétation, c’est la vérité. Quand on analyse le parlêtre, le corps parlant, le sens de l’interprétation, c’est la jouissance. Ce déplacement de la vérité à la jouissance donne la mesure de ce que devient la pratique analytique à l’ère du parlêtre. » (Jacques-Alain Miller).
Quand tout s’effondre et que le corps se défait, où trouver ancrage ? Comment contrer la dérive, quand le symbolique n’ordonne plus notre monde ? Présentant quatre cas, – plus un, célèbre, celui d’Antonin Artaud, Hervé Castanet démontre en quoi s’orienter du dernier enseignement de Lacan a des effets radicaux pour la clinique, spécialement appliquée aux psychoses. L’interprétation freudienne visait la vérité ; l’orientation par le réel vise la jouissance qui trouve son lieu d’écriture dans le corps. Aujourd’hui, la pratique analytique a nouvelle boussole.
Dans l’expérience d’une psychanalyse, se tisse un nouage du réel, du symbolique et de l’imaginaire où se puise matière à inventer. Quand le réel cogne, loin des solutions supposées valoir pour tous, les inventions, ainsi élaborées et soutenues sous transfert, sont des réponses inédites et singulières pour tenir dans la vie.
Hervé Castanet : Professeur des universités, membre de l’École de la Cause freudienne (ecf) et de l’Association mondiale de psychanalyse (amp), il est psychanalyste à Marseille et a publié une trentaine de livres, dont Homoanalysants (Navarin / Le Champ freudien, 2013).
Soutenir l’invention, par Dominique Corpelet*
Le cas d’Eric retient tout spécialement l’attention par la singularité du dispositif de la rencontre et l’ingéniosité de la trouvaille.
Une rencontre unique a lieu avec Hervé Castanet dans le dispositif dit d’une présentation de malade à l’hôpital, un long entretien en présence de cliniciens qui écoutent. Qu’est-ce qui rend ses hospitalisations nécessaires ? Y aurait-il moyen de les lui éviter ? L’analyste fait toute sa place aux dits du patient pour dégager, avec lui, ce qui peut faire invention et barre au réel, quand manque l’appui pris dans le père. Le désir de l’analyste y est tout autant qu’il s’agisse d’une seule rencontre ou d’une cure de plusieurs années. […]
Éric, qui s’est toujours senti différent des autres et voudrait être « normal », évoque un système qu’un beau jour il a décidé d’inventer, pour se guérir. C’est un dispositif créé ex nihilo, destiné à traiter la fatigue récurrente et qui opère par l’intermédiaire d’une machine, faite de petits bouts de carton griffonnés. C’est, comme le souligne H. Castanet, « sa tentative d’autoguérison délirante » (1). […]
C’est quand le bricoleur est au travail d’inventer sa machine que l’apaisement, quoique partiel, se produit. L’efficace de la machine vient aussi de ce qu’Éric y adjoint une écriture qui vient faire arrêt à la dispersion métonymique. « La machine est alors pensée devenue écriture – pensée matérialisée. Éric y territorialise, motérialise le signifiant » (2), précise H. Castanet évoquant, en référence au néologisme forgé par Lacan en 1975 (3), le motérialisme qui désigne la face matérielle du signifiant, en prise avec le corps. La machine ici est constituée de « descriptions et autres nominations explicatives. Elle noue des mots, remarquables trouvailles du patient, et des fonctions » (4). Par le mot et la nomination, la jouissance trouve à se localiser. L’analyste en tire orientation pour la suite : la machine « n’est jamais finie ; il faut sans cesse y revenir pour l’ajuster, l’améliorer à mesure qu’Éric est confronté à un réel qui revient sans cesse ».
L’enjeu de cette rencontre unique avec Éric aura été de soutenir cette construction, véritable trouvaille d’un sujet au travail. […] L’analyste choisit de soutenir comme telle l’invention du sujet en proie à la forclusion car, face au réel, le bricolage, aussi minime soit-il, ouvre à la possibilité de l’apaisement. H. Castanet nous rappelle ainsi qu’à l’heure d’une clinique qui cherche plus à faire taire le sujet qu’à l’écouter, il s’agit de redonner son poids à la trouvaille et à l’invention dans la psychose.
* Extraits de l’article de Dominique Corpelet, « Soutenir l’invention », publié dans Lacan Quotidien, n° 787, 24 septembre 2018 (https://www.lacanquotidien.fr/blog/2018/09/lacan-quotidien-n-787/)
1 : Castanet H., Quand le corps se défait. Moments dans les psychoses, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2017, p. 33.
2 : Ibid., p. 39.
3 : Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, n°95, avril 2017, p. 12.
4 : Castanet H., Quand le corps se défait., op. cit., p. 49.