HORIZON n° Hors-Série
La globalisation marque un changement historique colossal au moment où la pandémie imprime à notre époque un caractère inédit. Une torsion se manifeste entre « tous pareil », devant cette expérience collective planétaire, et la dissymétrie, dans l’inconscient, de l’Un-tout-seul qui nous fait des uns « épars désassortis 1 » en relation au réel.
L’ordre ancien, avec la solide boussole d’un Autre consistant de la loi et de l’amour du père s’est achevé. Un nouveau monde est apparu. Le progrès de la science, la réussite des technologies et l’économie de marché ultralibérale ont fait triompher sur la planète entière une société d’addicts, d’hyperconnectés, une société de consommateurs d’objets avec le droit pour chacun d’en jouir. La performance de la globalisation suppose de combler tout manque pour générer de la plus-value, mais elle produit aussi de l’angoisse. Avec l’inconsistance de l’Autre, une nouvelle clinique de la « forclusion généralisée » apparaît ainsi qu’une myriade de nouveaux monosymptômes.
Dans les sociétés mondialisées, de multiples modes de jouissances coexistent, s’entrecroisent, s’entrechoquent. Puisque « l’Autre n’existe pas », c’est le lien social qui fait fonction de point capiton. Les communautés identitaires, de plus en plus idiosyncratiques, émergent, provoquant rejet et ségrégation.
Lors de ces soirées organisées par l’Envers de Paris, nous avons parlé de la logique et de la clinique nodale dans cette nouvelle époque. La psychanalyse donne une chance aux « Uns égarés 2 », que nous sommes, d’établir un nouveau lien à l’Autre et, ce faisant, d’obtenir un savoir y faire avec notre propre mode de jouissance.
Mars 2020.
Annonce du confinement dû à la pandémie de COVID-19. Mondialisation de l’arrêt des activités sociales, des échanges, enrayement de la machine de l’économie du marché planétaire ; globalisation de l’arrêt des relations, incertitude sur l’efficacité de cette suspension et sur sa durée.
Chaque analysant apprend de son analyste comment sa cure se poursuivra. Le président de l’ECF, Laurent Dupont, adresse des communiqués annonçant la suspension des enseignements à l’École, des rencontres de l’Envers. Dans ses communiqués, il reprend la formule de Lacan, évoquant la situation « d’épars désassortis 1 » à laquelle, dans l’École, mène l’expérience d’une cure.
L’Envers, autour de sa directrice, Marga Auré, se saisit de cette disjonction entre, d’une part, les épars désassortis faisant épreuve du yadl’un qui les déterminent dans leur singularité et, d’autre part, la globalisation de l’imposition d’une solitude face au réel de la pandémie. Nul, nulle part, ne peut échapper à cette globalisation de la solitude au titre du « tout le monde ». Lacan souligne le caractère fallacieux de la catégorie du « tout ». En 1970, il choisit d’aborder la démonstration de l’inconsistance de ce « tout » lors d’une allocution diffusée à tous les auditeurs de la radio. Cependant, dans son adresse, il touche chacun dans la singularité des conditions de son réel et son symptôme.
L’Envers fait des termes même de la disjonction entre les épars désassortis et la globalisation objet de son travail. Par quelle voie ? Celle de quatre moments d’échanges centrés sur les thèmes : « Épars désassortis et globalisation » ; « Yadl’un à l’ère de la ségrégation » ; « L’Os du singulier » ; « Inclusion, exclusion, exception ». Quel moyen pour ce travail ? celui de la « zoomisation » qui, pour l’étude de la psychanalyse, aura raison de la globalisation des solitudes.
Sommaire
Marga Auré Éditorial
Pascal Pernot Introduction
Angoisses, solitudes, nouveaux nouages
Extime : Sonia Chiriaco
Introduction :
Pascal Pernot Nouages singuliers pour solitude pandémique
Romain-Pierre Renou Particules élémentaires ou épars désassortis ?
Marga Auré Épars désassortis à l’époque de la globalisation
Cinzia Crosali L’angoisse comme objection au pour tous
Adela Bande-Alcantud Seuls avec la jouissance
Yadl’un à l’ ère du racisme et de la ségrégation
Extime : Marie-Hélène Brousse
Introduction :
Patrick Almeida Entre racisme et ségrégation
Nayahra Reis Entre haine et docilité subversive
Monica Guerra La nostalgie de l’Un
Pablo Llanque « Le racisme qui m’habite »
Flavia Hofstetter La ségrégation aujourd’hui
Ariel Altman Ségrégation et différence sexuelle : trois mythes
L’Os du singulier
Extime : Laurent Dupont
Introduction :
Pascale Fari Il n’y a de lecture que du singulier
Andrea Souza Paleari La pierre – écho de la parole dans le corps
Adriana Comensoli Contingence et inventions
Noa Farchi Du mythe au réel
Alexandra Escobar Du guépard au gai savoir ?
Inclusion, exclusion, exception
Introduction :
Pascale Fari Intuitions sur la globalisation
De l’inclusion à l’exception
Martine Bottin Daneluzzi À l’heure de l’inclusion-exclusion
Elisabetta Milan Fournier Extension du domaine de l’inclusion
Pas-tout aux commandes
Juan Aliotti Ennuyés de la globalisation
Juan Rodriguez Pandémie, une variété de l’époque
Francesco Bernardi La psychanalyse à l’ère de de la transparence
Adriana Campos Un monde sans dehors
Actualité du rire et de la honte
Marie Lévènes Roussel Le trait d’esprit, un recours nécessaire
Ana Inés Vásquez Cancel culture, la machine à « faire honte »
Les arts à L’Envers : théâtre, cinéma, poésie
Introduction :
Laure De Bortoli Lever de rideau
Cinzia Crosali Comment être Comme tu me veux
Bénédicte Jullien Klute, un hommage à la singularité
Nathalie Georges-Lambrichs, Myriam Mitelman & Agnès Vigué-Camus, Pas un poète, mais un poème
Entretien avec
Pierre Malengreau L’effet de sens réel, ou l’art de la réson