Éditorial
Donner pour titre à notre numéro « fictions familiales », c’est prendre le contre-pied du terme générique de famille, de ses prétendues typologies invariables. Certes, la famille, c’est là. Ça nous parle
depuis qu’on est né. La famille, c’est cette foule intérieure, cette somme de voix, mélopée ou cacophonie, ritournelle ou litanie qui nous revient dans les oreilles. La famille, on n’aurait que ça à la
bouche.
Mais accoler les signifiants fictions et familles, les décolle, fait entrevoir l’étrangeté, presque l’oxymore et pointe alors l’énigme.
La famille d’aujourd’hui est en mutation. Elle se décompose, se recompose, se réduit ou s’élargit. Elle se décline et se complexifie. De nouvelles formes de parentalité émergent. Des portraits
de famille inédits, lancés dans le tourbillon des procédures médicalement assistées, tapissent désormais les murs érigés par la science. Celle-ci répond à la dispersion des modes de jouissance de chacun – puisque c’est possible – mais elle ne résout pas la question vertigineuse de l’origine. L’origine est toujours à venir, irréductible aux coordonnées biologiques ayant présidé à la venue au monde du sujet.
Inaccessible, elle ouvre à l’invention, pas sans l’inconscient.
C’est d’un au-delà que s’oriente ce numéro, d’une Autre scène où la trame familiale tissée par chacun peut trouver à s’éclairer et révéler son caractère fictionnel. « On invente. On invente ce qu’on peut,
bien sûr 3 » pour combler le trou du non-rapport sexuel. « L’impasse sexuelle sécrète les fictions qui rationalisent l’impossible dont elle provient 4 » énonce Lacan dans Télévision. Ces fictions « somnifères » sont des « vérités vitales » qui, une fois cernées, révèlent leur part de fixion, fixité qui insiste et réveille, comme « marque de jouissance 5 », pas sans l’acte
de l’analyste.
L’analyste est tout autant praticien de l’imprévisible que « surpreneur de réel 6 ». Il fait le pari, avec l’analysant, que « les nœuds du destin inéluctable peuvent se défaire 7 » par la parole et les effets
qu’elle produit dans le réel, du corps, de la jouissance.
Vous suivrez, dans ce nouveau bulletin, au fil du découpage en quatre parties, les éclairages inédits de membres de l’Ecole de la Cause Freudienne : François Ansermet, Pénélope Fay, Katty-
Langelez Stevens, de la romancière et philosophe Gwenaëlle Aubry qui nous a fait l’honneur, avec François Ansermet, d’accepter la retranscription de leurs interventions lors du colloque de l’ACF en
CAPA sous le titre « Ça rêve, ça rate, ça rit. Pas sans l’inconscient ». Des textes produits par les membres de l’ACF en CAPA complètent et ponctuent notre numéro et font entendre le désir d’être au
plus près du bien dire pour attraper l’inventivité et la poésie d’une œuvre toujours prête à nous surprendre.
CLAIRE DEBUIRE
3 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.
4 Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 532.
5 Brousse M.-H., « La fiction polymorphe », La Cause du Désir, n o 87, février 2014, p. 6.
6 Miller J.-A., « Ouverture. De la surprise à l’énigme », in Miller J.-A. (s/dir), Le conciliabule d’Angers, Effets
de surprise dans les psychoses, Paris, Agalma, 1997, p. 12.
7 Koretzky C., « Partir/arrivées », La Cause du Désir, n o 116, avril 2024, p. 199.
SOMMAIRE
ÉDITORIAL, CLAIRE DEBUIRE
L’ORIGINE À VENIR
L’ORIGINE À VENIR, PAS SANS L’INCONSCIENT, FRANÇOIS ANSERMET
DÉCLINER SON IDENTITÉ, ELISA CUVILLIER
L’ENFANCE EN DEVENIR
« COMMENT ROMPRE PAR LA LANGUE LE LIEN QUE LA LANGUE A TISSÉ ? », CONVERSATION AVEC GWENAËLLE AUBRY
« MOI, JE M’APPELLE NIKI DE SAINT PHALLE ET JE FAIS DES SCULPTURES MONUMENTALES », SOPHIE CHARLES
AU-DELÀ DE L’OEDIPE
LACAN ET L’ANTI-OEDIPE, KATTY LANGELEZ-STEVENS
LA LANGUE, AU-DELÀ DE LA MAIN DU PÈRE, PÉNÉLOPE FAY
PONCTUATION PAR BÉATRICE BRAULT-LEBRUN
AUTRES FICTIONS
À PROPOS DE CELLE QUE VOUS CROYEZ DE CAMILLE LAURENS, MARTINE BESSET
RÉALITÉ : ENTRE FICTION ET RÉEL. UNE LECTURE DU CINÉMA DE QUENTIN DUPIEUX, GRÉGORY LEDUC