Présentation :
Ce numéro inaugure une nouvelle formule pour LCD, désormais tout entière centrée autour d’un thème unique. Pour le numéro 116, le thème choisi est le passage à l’acte. Chacune des rubriques s’emploie à travailler le concept : le dossier central, la rubrique clinique, l’entretien. Une nouvelle rubrique (‘États de la psychanalyse’) fait même résonner le passage à l’acte avec l’histoire de la psychanalyse et sa difficile implantation aux États-Unis.
Deux textes de Jacques-Alain Miller (l’un –‘Acte ou inconscient’– était resté relativement confidentiel jusqu’à aujourd’hui où il paraît dans une version remaniée) orientent le numéro.
Les auteurs de ce numéro ont abordé le passage à l’acte sous des angles très variés : il est ici question du passage à l’acte meurtrier et de criminologie, mais aussi de la question du passage à l’acte à l’adolescence ou en institution de santé mentale. Un article retrace l’histoire du concept passé de la psychiatrie à la psychanalyse.
Ce numéro est donc en prise avec l’actualité à deux égards : il se fait l’écho de notre monde contemporain traversé par le passage à l’acte d’une part, et, de l’autre, l’écho de la récente publication au Seuil du séminaire XV de Lacan consacré à L’Acte analytique.
Points forts – Mots clés
- Un numéro entièrement resserré autour d’un thème unique.
- Deux textes d’orientation de Jacques-Alain Miller.
- Des textes qui abordent le thème sous des angles très variés (histoire, criminologie, clinique de l’adolescent, vie en institution…).
- L’actualité du passage à l’acte dans nos sociétés contemporaines.
- L’actualité éditoriale avec la publication du séminaire XV.
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Sommaire :
Éditorial
Sortie de scène, France Jaigu
L’orientation lacanienne
Sur le concept lacanien du passage à l’acte, Jacques-Alain Miller 20 Acte ou inconscient, Jacques-Alain Miller
Passage à l’acte
Moment de l’acte, Deborah Gutermann-Jacquet
Quelques repères historiques sur le passage à l’acte, Clément Fromentin
L’adolescence : passage et actes, Frank Rollier
Passer à l’acte ou par l’autre, Thomas Roïc
Au-delà des limites, le féminin, Pénélope Fay
Homosexualités féminines : passage à l’acte et acting out, Agnès Aflalo
Juger le fou, Francesca Biagi-Chai
Althusser : le féminicide et l’éternité de l’acte, Dominique Laurent
Viser l’acte, Guy Briole
Le passage à l’analyste : de la trajectoire du fantasme à l’acte de séparation, Victoria Horne Reinoso
Clinique
« Prends ma virginité », Anne Béraud Bogino
Impudeur, Claudine Valette-Damase
Le saut, Hélène Bonnaud
Le voile de la jupe, Anne Colombel-Plouzennec
Concerné, Isabelle Orrado
Tout contre la folie, Pascale Fari
États de la psychanalyse
La chose américaine, Cyrus Saint Amand Poliakoff
L’entretien
Éthique du passage à l’acte, François Leguil
Sur la passe
Partir/arrivées, Carolina Koretzky
Trois questions de Deborah Gutermann-Jacquet à Carolina Koretzky 212 Commentaire, Jacques-Alain Miller
Bibliothèque
Thinking With Your Eyes
Properatus amor, Luis Solano
Éditorial :
Sortie de scène
C’est en 1963, dans son Séminaire L’Angoisse et à la faveur de sa reprise du cas de la jeune homosexuelle, l’« un des textes les plus brillants de Freud, […] presque l’un des plus troublants 1 », que Lacan s’efforce de faire saisir à ses auditeurs la « valeur propre » du passage à l’acte. Il le distingue à cette occasion de l’acting out et en isole la structure, celle d’un saut, d’une bascule hors de la scène : quand la jeune homosexuelle se jette depuis un pont sur la voie ferrée en contrebas, elle s’évade de « la scène de l’Autre, où l’homme comme sujet a à se constituer, à prendre place comme celui qui porte la parole 2 » …
Cette sortie de scène est bien des plus « troublantes » – à l’instar du cas, en effet, puisque Lacan n’hésitera pas à dire qu’en congédiant sa patiente, Freud passe lui-même à l’acte. Trompeuse formule donc que ce « passage » à l’acte qui ne saurait se réduire à une causalité simple. Car « il ne suffit pas de dire que le père a jeté un regard irrité [à sa fille], pour comprendre comment le passage à l’acte a pu se produire 3 ». En effet, le passage à l’acte révèle la fondamentale inadéquation de l’acte avec la pensée qui est censée le déterminer. Il se situe à rebours de « l’idéal de la conduite rationnelle 4 » qui « suppose que la pensée fonctionne dans un temps suspendu – une fois le calcul fait, l’acte s’ensuit comme la conclusion d’une démonstration 5 ». À ce titre, toujours énigmatique, il ne cesse d’interroger, y compris ceux qui le commettent.
L’éclairage apporté par Lacan est précieux à maints égards. Tout d’abord, en « dépsychiatrisant » la notion et en la faisant entrer dans le champ de la clinique analytique, il permet de saisir comment notre époque, marquée par la dévaluation de l’Autre et de l’interprétation, est particulièrement propice au passage à l’acte. Mais, dans le même temps, en « généralisant » le passage à l’acte, Lacan montrera que celui-ci « dévoile la structure foncière de l’acte 6 ».
À cet égard, notre numéro s’inscrit donc également dans une actualité éditoriale, celle de la publication en février dernier du Séminaire xv, L’Acte analytique, établi par Jacques-Alain Miller. Lacan y abordait notamment le passage à l’analyste et les événements de Mai 68. La Cause du désir a voulu s’en faire l’écho en proposant une nouvelle formule resserrée qui, de la clinique à la théorie, s’est employée à cerner la bascule du passage… à l’acte.
France Jaigu est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.
- Lacan J., Le Séminaire, livre iv, La Relation d’objet, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1994, p. 102.
- Lacan J., Le Séminaire, livre x, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 137.
- Ibid., p. 130.
- Miller J.-A., « Sur le concept lacanien du passage à l’acte », La Cause du désir, no116, avril 2024, p. 13.
- Ibid.
- Ibid., p. 12.